Cherchez la femme, d'Alice FERNEY

Publié le par Alice

Cherchez la femme, d'Alice FERNEY

Dès le début on sait que l'histoire d'amour entre Nina et Vladimir sera un fiasco : trop jeune pour elle, trop d'illusions et de mauvaises raisons. Ils auront pourtant deux enfants et passeront leur vie ensemble. Tout autant que leur vie de couple sera un désastre, L'éducation de leurs fils contribuera à faire d'eux des hommes prédestinés à l'échec sentimental.
Ces quelques phrases résument le roman, pourtant au-delà de l'histoire, il y a tout le reste (et surtout le reste) qui est d'une perfection absolue : cette analyse minutieuse des sentiments, émotions. L'art de la description psychologique atteint avec ce roman son apogée.

L'écriture est parfaite, le texte est parfaitement écrit, les images, descriptions réfléchies, pesées. Il y a beaucoup de justesse et de poésie dans la manière de décrire (aussi) la médiocrité.

 

Pas de suspense, d'effet de surprise, ce qui intéresse le narrateur ici, c'est analyser, observer, disséquer les personnages et les relations qui les unissent.

Attention, c'est excessivement pessimiste, aucun personnage ne trouve grâce aux yeux de l'auteure : de la mère colérique, alcoolique, à la veulerie du père, leurs enfants ne sont pas épargnés non plus. Pourtant, au fil des pages, on s'attache à ce qui fait aussi leurs failles et le tableau réaliste dressé par Alice Ferney nous emporte.

C'est un roman hors du commun parce qu'il donne le sentiment, une fois la lecture achevée, d'abandonner ces personnages que l'on connait désormais si bien.

 

"Angélique naquit dans l'hiver, nouveau-né aux yeux sombres qui regardaient sans tressaillir ses parents et le monde apparu. Un grand froid serrait Paris dans une raideur blanche. Marianne emmitouflait sa fille au creux de couvertures douces. Elle qui avait attendu la maternité en craignant d'y perdre sa vie, en précisa la nature et le tracé : un équilibre entre la chair et l'esprit, un repositionnement de soi dans une lignée, un balancement harmonisé entre penser à soi et tenir compte de l'autre. Jamais autant qu'à ce moment  Marianne n'eut l'intuitition juste du mélange de solitude et de dépendance qui est le lot partagé. L'enfant n'appartenait pas à sa mère. La mère ne façonnerait pas l'enfant. Il faisait partie de sa vie sans l'être toute. Et chacun mourrait seul. Le père, la mère, les enfants, et les enfants des enfants, tour à tour, le moment venu, feraient l'expérience de l'ultime solitude du dénouement  qui les engloutit. Mais plus rien n'attristait Marianne. Du jour où elle fut mère, elle sentit une félicité qui fracassait toute mélancolie. Cet accomplissement accrut l'écart entre les époux : l'esclave s'envolait dans l'allégresse active, le maître bataillait dans l'égoïsme. Serge et Marianne étaient mariés depuis sept ans."

" Dix années retentissent de leur jeunesse. Ils ne les comptent pas. Elles ne filent pas si vite et pas sans qu'on les voie. Comme glisse un fleuve, avec fluidité et lourdeur, avec cette inexorable force têtue de l'eau, dans le lit de la famille elles charrient l'habituelle moisson de la vie. Des sourires fugaces et de fervents baisers, des récits et des rires, des verres de vin et des coupes de champagne, des fêtes et des anniversaires, des histoires lues à la veilleuse, des rentrées scolaires et des carnets de notes, des dîners entre amis (ceux de Serge en majorité), des vacances en famille (celle de Marianne surtout), des journées à Châteaudun, quelques voyages, des tournois de tennis, des parties de Monopoly, de petits chevaux, de Memory, des petits et des gros cadeaux, des disputes mineures et des scènes grandiloquentes, des jalousies, des envies, des promesses, des mises au point et des remémorations, beaucoup de travail, et du succès."

Cherchez la femme, d'Alice FERNEY

Editions Actes Sud, 2013

(Et sinon, le samedi, on lit).

Publié dans Roman

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