L’art de perdre, Alice ZENITER
La petite histoire dans la grande ou la grande dans la petite. Naïma est la petite-fille d’Ali, un homme de là-haut, de la montagne de Kabylie. Par un heureux coup du destin, il a trouvé un pressoir, ce qui lui, à lui et ses frères, a permis de transformer les olives et d’en tirer un revenu qui leur offre une vie confortable.
Le lien avec la France est partout même si très lointain pour ces kabyles qui n’ont pas appris à lire ni écrire le français. Les événements politiques troublent l’équilibre joyeux dans lequel sont élevés les enfants : Hamid, ses nombreux frères et sœurs. La violence et la barbarie accompagnent les désirs d’indépendance et les combats font rage. Comment refuser et dénigrer cette France pour laquelle Ali a combattu ? Se ranger du côté de la barbarie ou de ceux qui les considèrent pourtant mal, comme des indigènes, leurs inférieurs…
Et puis c’est la fuite et le No man’s land vers lequel ils sont parqués comme des bêtes en attendant quoi ? Personne ne parle la langue, la famille (au sens large mais si proche pour eux) est éclatée. Ils découvrent la France, le racisme et le mépris.
Hamid qui cauchemarde encore de l’Algérie a vite conscience qu’il doit devenir Français. Il n’a pas le choix, lui l’aîné, est d’emblée désigné comme celui qui sait, celui qui lit. Chacun doit trouver sa place et pour Hamid, c’est en faisant fi de ce qu’il a vécu : il décide de grandir dans le silence de son passé, à l’image de son père Ali, qui jamais ne racontera les raisons de cet exil. Harki. Ce nominatif désigne la honte encore une génération plus tard ; celle d’avoir choisi le camp de l’envahisseur, d’avoir abandonné son pays.
Et pourtant le paradoxe, c’est que là-bas, la France est considérée comme la terre promise. Elle symbolise la réussite, la fallacieuse réussite de ceux qui vivent dans des conditions indignes, des salaires misérables et qui font croire que… à ceux restés au pays.
Naïma, fille de la seconde génération, est née de la mixité, comme chaque enfant qui naît, elle représente l’espoir de l’ascension sociale. Des études, une réussite. Elle sera celle qui bouclera la boucle en retournant sur les terres –encore dangereuses- dont on ne parle pas en famille. Le lien est brisé. Elle ne se reconnaît pas en l’Algérie. On n’est pas ce que l’on ne connait pas.
La question de l’identité est au cœur du roman, jusqu’où emporte-t-on ses origines ? L’art de perdre est aussi un beau roman pudique sur l’acculturation et le déracinement